Le 10 décembre 2023
Contribution de l’ADTC – Se déplacer autrement
Concertation préalable sur le projet de
« Contournement nord de Voiron » entre Champfeuillet et la RD 592
Dans le cadre de ses objectifs et de son champ géographique d’action, « L’ADTC-Se déplacer autrement » a étudié ce dossier pour la partie des documents relative à la Mobilité.
Le Département de l’Isère projette de construire un nouvel axe routier de 1,4 km, entre l’échangeur A48 desservant Voiron et la RD592 à Moirans. Ce projet, dont les premières réflexions ont désormais plus de 30 ans, est désormais en phase d’études approfondies.
Les objectifs du projet défendus par le maître d’ouvrage sont :
• limiter le trafic de transit sur les petites routes des coteaux de Moirans et rabattre celui-ci vers le réseau autoroutier
• Améliorer les liaisons transversales et le lien à la Bièvre
• Un meilleur accès aux équipements (dont l’Hôpital)
A l’examen des arguments présentés, on constate :
Une absence de qualification du trafic de transit
Le dossier de concertation préalable amène cet argument comme le premier justifiant la création de ce nouvel accès routier.
Cependant, aucun chiffre n’est clairement avancé sur la part du trafic de transit et la part de desserte locale sur les routes concernées par ladite réduction de trafic. Cet argument est amené au débat sans élément sérieux permettant de démontrer une réelle réduction de celui-ci.
Or, l’enquête EMC² (Enquête Mobilité Certifiée Cerema) réalisée en 2020 dans la région grenobloise donne les chiffres suivants pour le Voironnais :
• 42 % des déplacements font moins de 2 km, 61 % moins de 5 km et 74 % moins de 10 km
• 62 % des déplacements sont faits en voiture, représentant 71 % des kilomètres parcourus, et 91 % des gaz à effet de serre émis par l’ensemble des déplacements.
Ces chiffres montrent clairement que le trafic concerne majoritairement le voisinage immédiat : un éloignement de 10 km pour trois quart des déplacements. Parmi les petits trajets inférieurs à 5 km, une part non négligeable pourrait se faire à pied ou en vélo classique, avec une importante marge de progression. Aujourd’hui, des distances jusqu’à 15-20 km sont facilement à la portée d’un vélo à assistance électrique, y compris en secteur vallonné.
Une incitation forte à faire les petits trajets autrement qu’en voiture aura un impact certain sur le trafic automobile, selon le principe basique des vases communicants : la personne qui opte pour un mode alternatif à la voiture ne prend plus sa voiture.
Comment dans ces conditions annoncer que ce projet routier permettra de résoudre l’essentiel des problèmes de congestion du Voironnais et en particulier ceux de Voiron ?
Un risque d’appel d’air qui n’est jamais mentionné
Le projet vise à « améliorer les liaisons transversales et le lien à la Bièvre » ainsi qu’à garantir « un meilleur accès aux équipements dont l’hôpital ».
Le dossier promet que les temps de parcours en voiture seront réduits, pour se rendre à l’Hôpital ou même… à Grenoble depuis Vourey via l’échangeur de Voiron.
Premièrement, nous tenons à préciser qu’il s’agit de l’accès automobile qui serait facilité.
De plus, certains trajets semblent irréalistes, comme le cas de l’automobiliste empruntant l’échangeur de Voiron depuis Vourey… dans la pratique, les automobilistes locaux préféreront emprunter les routes gratuites et saturées plutôt que de payer pour une fluidité toute relative.
Pour poursuivre, le projet risquerait d’entraîner un appel d’air de trafic routier, qui n’existe pas. Il s’agit d’un phénomène appelé le « paradoxe de Braess ». Il se démontre aujourd’hui très bien : le temps dédié aux déplacements n’a pas fondamentalement évolué depuis les années 1950, mais l’extension du réseau routier a favorisé les distances de plus en plus grandes entre les lieux d’habitat, d’emploi et de services. Tout nouveau projet routier génère, du moins en partie, un phénomène d’appel d’air, qui n’est pas mentionné dans le dossier de concertation préalable.
Ainsi, les calculs de bilan carbone de l’infrastructure et de réduction estimée du trafic sur les autres axes routiers sont erronés, car ils ne prennent pas en compte cet effet. Pire, le projet assume une augmentation de trafic d’ici 30 ans, alors que les diverses urgences (climatique, perte de biodiversité, dépendance aux carburants, sédentarité) imposent une réduction de l’usage de la voiture, y compris en zone périurbaine et rurale.
La non prise en compte des études récentes sur « l’évaporation du trafic »
De la même manière que la création d’une voirie crée un « appel d’air » et l’augmentation du trafic, la suppression de voies de circulation sur un axe existant, la suppression d’un axe suite à un incident (éboulement, détérioration d’un pont…), la reconversion d’une voirie véhicule pour les modes actifs ou les transports en commun, créent, à l’inverse, une « évaporation du trafic ».
Les causes du phénomène sont multiples et le processus complexe à modéliser et analyser, car le facteur comportemental est important, mais les résultats sont là.
En particulier, une thèse soutenue en 2022 à l’EPFL en Suisse, traite ce sujet de manière scientifique, avec des exemples concrets significatifs ( file:///C:/Users/Bernard/Downloads/EPFL_TH9879-1.pdf ).
On notera avec intérêt l’exemple du pont Mathilde à Rouen (Partie 4 de la thèse), brutalement fermé à la circulation pour 2 ans suite à un incendie : sur les 90 000 véhicules qui circulaient journellement avant la fermeture, la moitié disparait des comptages automobiles, soit 20% du trafic motorisé traversant la Seine. Même si le plan de circulation temporaire crée des difficultés, le chaos redouté par beaucoup n’a pas eu lieu.
Voici une autre étude sur le même sujet, réalisée par le Laboratoire Aménagement Economie Transports à Lyon : https://shs.hal.science/halshs-01480663/document
Dit autrement, « une contrainte du trafic automobile permet de faire levier sur les comportements de mobilité ».
Dans le cas du maintien du réseau existant, la tendance à la saturation peut être jugulée par la conjugaison simultanée de la contrainte du trafic automobile et du développement d’une offre alternative (transports en commun, vélo, marche, covoiturage).
Concrètement, pour le Voironnais nous avons des éléments de solution dans le chapitre « Une absence de considération pour les modes actifs et les transports collectifs ».
Un risque de renforcement de la périurbanisation et de dévitalisation de Voiron
L’objectif affiché de « renforcer le lien avec la Bièvre », corrélé avec le phénomène d’appel d’air de trafic précédemment expliqué, entraînerait inexorablement un étalement urbain. Des actifs du pôle d’emploi de Voiron pourraient en effet être tentés d’habiter plus loin de leur lieu de travail, sans augmenter leurs temps de trajets, « grâce » au contournement. De plus, la facilitation de l’accès aux zones de la périphérie nord de Voiron, notamment commerciales, se ferait au détriment du centre-ville (effet « rocade »). Il serait toujours plus facile de se déplacer et de se garer dans une zone périphérique que dans un centre urbain dense, peu importe le nombre de places de stationnement disponibles dans celui-ci. Ainsi, la réalisation de ce projet rentrerait en totale contradiction avec les opérations menées actuellement dans le centre de Voiron : Action Cœur de Ville, démarche de rénovation du bâti ancien, ZAC DiverCité et Rossignol-République…
Un coût important pour les collectivités
Le coût présenté du projet est estimé à environ 18M€ le kilomètre, soit un coût nettement supérieur à celui d’une autoroute (coût moyen 8M€ pour une 2*2 voies selon WikiSara https://routes.fandom.com/wiki/Co%C3%BBt_moyen_des_principaux_ouvrages_routiers_fran%C3%A7ais ).
La Communauté d’Agglomération du Pays Voironnais devrait financer ce projet à hauteur de 5,6 M€, alors qu’il ne relève pas de sa compétence directe. Il est à mettre en perspective avec les investissements en matière de mobilité de l’agglomération : 1,15 M€ entre 2015 et 2019 pour le service de transports collectifs, 10 M€ entre 2020 et 2030 pour le schéma vélo.
Ainsi, même si la création de nouvelles routes ne rentre pas dans le champ de compétence de la collectivité, elle prévoit pour ce projet un budget équivalent à 4 fois le montant investi dans les transports collectifs (hors fonctionnement) ces dernières années. Dans un contexte financier contraint, ce choix se ferait au détriment des autres modes pourtant plus vertueux.
Une consommation de foncier qui irait à l’encontre des dernières lois de planification
La loi « Climat et Résilience » d’août 2021 porte l’objectif de ne plus artificialiser d’espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2050 : il s’agit du principe ZAN (Zéro Artificialisation Nette). Or, même si le maître d’ouvrage a démontré une optimisation du foncier consommé pour le projet, l’impact de ce projet resterait important, surtout au vu des conséquences négatives citées plus haut. Or, le foncier consommé est autant d’espace qui ne pourrait pas être utilisé pour d’autres projets, potentiellement bien plus stratégiques, dans le Voironnais.
L’effort du maître d’ouvrage pour la réalisation de compensations environnementales et de réduction de nuisances est à souligner. Cependant, le projet le moins impactant est celui qui ne se fait pas !
Une absence de considération pour les modes actifs et les transports collectifs
Le dossier précise que la future route serait munie de « bandes multifonctionnelles » autorisées aux modes actifs. Cet aménagement est pourtant à proscrire pour toute infrastructure cyclable en zone interurbaine, en raison du faux sentiment de sécurité qu’elle offre et à l’effet « route large » qui incite à des vitesses trop élevées. Cet aménagement apporterait un confort aux cyclistes chevronnés ou sportifs, sans attirer de nouveaux usagers. Or, le Pays Voironnais souhaite tripler l’utilisation du vélo d’ici 2025… un tel aménagement serait donc en contradiction avec cet objectif.
Le dossier précise que « Compte tenu des niveaux de trafics attendus sur la liaison et de ses pentes importantes pouvant atteindre 7,5 %, des itinéraires alternatifs sont à privilégier conformément au schéma cyclable de la Communauté d’Agglomération du Pays Voironnais ».
Cependant, s’il existe un potentiel de déplacements en voiture justifiant la création d’une route entre Moirans et le nord de Voiron, pourquoi celui des déplacements à vélo n’existerait-il pas ? Rappelons que l’essor du vélo électrique et que les changements de pratiques du vélo amènent désormais certaines personnes à réaliser des distances longues, malgré le relief, pour se déplacer.
Il en va de même sur l’aménagement d’itinéraires pour les modes actifs sur les principales artères de Voiron, aujourd’hui dévolues à la voiture. Le dossier de PLU de Voiron actuellement en enquête publique précise « un réseau cyclable à développer », sans s’engager sur les temporalités de mise en œuvre de celui-ci.
Concernant les transports collectifs : « Deux lignes de transport du Pays Voironnais, la ligne interurbaine A et la ligne urbaine 1 du réseau utilisent des infrastructures (RD592 notamment) qui verront leur trafic diminuer grâce à la création de la liaison. Cet allégement du trafic permettra donc une meilleure régularité des lignes susmentionnées ».
Or, comme déjà précédemment expliqué sur l’appel d’air entraîné par une nouvelle route, rien ne peut garantir que la fluidité du trafic soit au rendez-vous… ni qu’elle soit au bénéfice des transports collectifs.
Conclusion : un projet anachronique, qui ne répondrait que partiellement aux enjeux cités sans chercher à développer des solutions alternatives à la voiture
L’argumentaire pose les bonnes questions. Oui, les routes des coteaux de Moirans sont saturées par un trafic d’opportunité qui nuit aux riverains et à l’environnement. Oui, il y a trop de véhicules dans le centre de Voiron. Oui, il y a besoin de faciliter les déplacements des habitants du bassin voironnais, qui connaissent également des embouteillages.
Cependant, la réponse apportée par cette future route serait la plus simpliste… et la plus mauvaise, car elle engendrerait un trafic supplémentaire, et poursuivrait la logique de dépendance à la voiture qui prévaut sur le Voironnais depuis plus de 50 ans. Elle n’apporterait, en l’état, aucune garantie de report modal de la voiture vers les autres mobilités, alors qu’il s’agit du seul moyen de répondre aux enjeux de déplacements aujourd’hui.
Les résultats de l’enquête EMC² et les études sur l’évaporation du trafic cités plus haut nous confortent dans cette opinion.
Enfin, ce projet serait particulièrement cher, et l’investissement envisagé se ferait au détriment du développement des mobilités vertueuses.
l’ADTC – Se déplacer autrement – émet un avis défavorable à ce projet coûteux de nouvelle liaison routière dont les effets pervers seraient plus mauvais que les retombées positives à court terme, et préconise :
• la réorientation des 25 millions d’euro vers des projets visant à réduire l’utilisation de la voiture, comme des aménagements cyclables de qualité, des stationnements vélo sécurisés, des aménagements de carrefours pour laisser la priorité aux transports collectifs et améliorer la sécurité des modes actifs,
• une meilleure desserte en transports collectifs entre Moirans et Voiron, via un cadencement à la demi-heure de la ligne A et de son prolongement vers les Blanchisseries et l’hôpital,
• une meilleure desserte en transports collectifs vers le Nord-Isère, par exemple en prolongeant l’express X02 de Champfeuillet à Les Abrets via les équipements du nord de Voiron (Hôpital, Brunerie), Chirens et le lac de Paladru.
Remarques sur les réunions publiques de concertation
Nous avons assisté à la dernière réunion de concertation organisée à Moirans.
Après une présentation très succincte du projet, uniquement orientée sur les avantages supposés, nous étions invités à nous exprimer sur des thèmes (usagers, environnement, …), au moyen de gommettes et de post-it.
Si les post-it permettent d’émettre un avis un minimum réfléchi, le collage de gommettes est une fantaisie indigne d’une concertation sérieuse.
Même si les trois réunions organisées constituent un petit effort d’écoute des citoyens, face à l’importance des enjeux de mobilité du territoire, le manque de neutralité de la présentation, l’absence criante de proposition de solutions alternatives, le mode de consultation (gommettes et post-it), le peu de temps imparti pour s’exprimer, constituent une parodie de consultation.
Alric Bonvallet
Bernard Bouvier
Administrateur de l’ADTC – Se déplacer autrement
pour le Voironnais
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